J’ai récemment participé à une conférence publique d’UniDistance Suisse : « Manger, une expérience qui fait appel à tous nos sens ». Géraldine Coppin, responsable scientifique du Certificate of Advanced Studies en Alimentation et comportement, a proposé une introduction au module sur le cerveau et l'alimentation, qu'elle enseigne dans cette formation continue. Elle a présenté le rôle des perceptions sensorielles dans la prise alimentaire. Voici un résumé du webinaire.
Qu’est-ce que le goût ?
Le mot « goût » est porteur d’ambiguïté dans le langage courant. Il désigne à la fois la gustation, l’un de nos cinq sens, et la saveur que nous percevons dans les aliments. Ainsi, on dit à la fois d’un aliment qu’il a un goût sucré, mais aussi qu’il a un goût de chocolat, vanille ou fraise. En termes scientifiques, on parlerait dans le second cas de saveur de chocolat, vanille ou fraise. La seule gustation ne nous suffit pas pour identifier la saveur des aliments.
Mais alors, la gustation, ça sert à quoi ?
Si la gustation ne nous donne pas une image complète d’une saveur, quelle information nous transmet-elle ?
Grâce aux récepteurs gustatifs, nous percevons les cinq « goûts » de base : le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami, un goût lié à la perception du glutamate.
La carte de la langue avec ses zones qui percevraient seulement un goût (p.ex. l'amer) est un mythe.
Vous avez sûrement déjà entendu que les différentes régions de la langue seraient sensibles à différents goûts ; en réalité, nous percevons tous les goûts sur toute la langue, mais à des niveaux d'intensité variables. Par exemple, l'amer est perçu plus intensément sur le fond de la langue.
En tout cas, vous conviendrez que nous sommes encore loin d’apprécier les saveurs dans toute leur subtilité par la seule gustation. Pour aller plus loin que ces cinq goûts de base, nous avons notamment besoin de notre nez.
« Les expériences alimentaires, positives ou négatives, commencent très tôt. Il y a des compilations entières sur Youtube de bébés grimaçant en goûtant du citron pour la première fois ! Ces vidéos sont très amusantes, mais elle nous rappellent également que l’alimentation est un comportement qui est façonné dès le plus jeune âge et qui peut changer tout au long de la vie. »
Géraldine Coppin, professeure en psychologie, spécialiste des préférences relatives aux odeurs, au goûts et à la prise alimentaire.
Merci l'olfaction !
C'est à l'olfaction, et en particulier à l’olfaction dite rétronasale (c’est-à-dire celle en jeu lorsqu’on mâche un aliment ou boit une boisson), que nous devons en grande partie les détails des saveurs. C'est pour cela que, lorsqu'on est enrhumé, tout plat nous paraît fade. C'est également pour cela qu'on recommande de se boucher le nez avant d'avaler un médicament au goût désagréable.
Mais les récepteurs gustatifs et olfactifs ne travaillent pas seuls à notre représentation mentale d’une saveur. D’autres sensations participent à l’expérience.
Le nerf trijumeau
Le nerf trijumeau passe derrière les yeux et le nez et sous la bouche (voir schéma). Il innerve toutes les muqueuses du visage. C'est à lui que nous devons les sensations de brûlant, de piquant, de rafraîchissant et de pétillant, si importantes quand nous mangeons de la moutarde, buvons de l’eau gazeuse ou un thé à la menthe.
Le nerf trijumeau auquel nous devons notamment les sensations de piquant
Texture et température
Notre perception de la saveur d'un aliment est aussi influencée par d'autres informations telles que la texture de l’aliment ou la température.
La texture influence la quantité que nous consommons et la vitesse à laquelle nous mangeons. Ainsi, nous nous sentirons davantage rassasiés par des morceaux de pomme que par un smoothie à la pomme.
De plus, certains goûts s'intensifient avec une augmentation de température. Par exemple, si on laissait fondre sa glace avant de la manger, on la trouverait alors très probablement beaucoup trop sucrée!
Certains chercheurs ont poussé la réflexion plus loin : ils ont pu créer des perceptions de goût sucré, acide ou salé rien qu'en réchauffant ou refroidissant la langue.
Et les autres sens?
La vue et l'ouïe jouent aussi un rôle dans notre perception des saveurs.
La vue
La vue contribue à créer des attentes qui influencent notre perception. Une étude de 2001 montre par exemple que des œnologues à qui l'on fait goûter un vin blanc coloré en rouge sont trompés par le signal visuel. Alors même qu'ils sont experts, face à une divergence des signaux visuels et olfactifs, ils ont tendance à se reposer sur les indices visuels, et à décrire ce vin blanc coloré en rouge avec des adjectifs relatifs aux vins rouges.
Ce graphique montre le nombre de mots utilisés par les œnologues pour décrire du vin blanc, du vin rouge et du vin blanc teinté en rouge. Les colonnes blanches montrent la quantité de mots appartenant au champ lexical du vin blanc. Les colonnes rouges indiquent les mots qui appartiennent au champ lexical du vin rouge
L'ouïe
L’ouïe, elle, pourrait notamment servir à donner des indications sur la fraîcheur des aliments. Par exemple, des chercheurs ont fait l'expérience suivante : ils ont placé un micro devant la bouche des participants, qui croquaient des chips, et leur ont diffusé le son en direct dans des écouteurs. Les participants devaient évaluer le niveau de fraîcheur des chips. À l'insu des participants, le son était tantôt atténué, tantôt diffusé à un volume normal, tantôt accentué. Les auteurs de l'étude ont constaté que les chips étaient perçues comme plus fraîches quand le son était plus fort.
Conclusion
Lorsque nous mangeons, nous ne remarquons pas que telle sensation est perçue par tel récepteur situé sur la langue ou dans le nez, qu’elle est influencée par des informations comme la température ou la texture, ou modulée par tel signal visuel ou auditif. Les différents sens activent différentes zones du cerveau, mais les messages convergent pour donner lieu à une représentation mentale intégrée. Nous faisons alors l'expérience de la saveur d’un aliment.
Au-delà des informations des différents sens, il se passe beaucoup de choses dans notre cerveau quand nous mangeons. Pour mieux comprendre la prise ou la perte de poids, il est particulièrement intéressant de comprendre comment fonctionne le système de récompense, ou encore quel impact le stress et les émotions ont sur la prise alimentaire.
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