Le professeur Rolf Krause, doyen de la faculté de mathématiques et informatique d’UniDistance Suisse, fait de la recherche en intelligence artificielle à l’aide d’un superordinateur. Si c’était à refaire, il ferait à nouveau des études de mathématiques.
Interview avec un scientifique de pointe
Les mathématiques demandent beaucoup d'investissement. Mais en contrepartie, on obtient des connaissances qui ne sont jamais dépassées, même dans le domaine de l'informatique.
De plus en plus de géants de la technologie s’installent en Suisse, comme Facebook, Amazon, ou encore Google, qui dirige ici son deuxième plus grand centre de recherche en dehors de la Silicon Valley.
Les entreprises s’arrachent les informaticien-ne-s bien formé-e-s.
Question: Rolf, tu as fait de la recherche aux États-Unis et tu es doyen de la faculté de mathématiques et informatique d’UniDistance Suisse : que recommandes-tu aux jeunes qui souhaitent poser les bons jalons pour faire carrière dans ce domaine ?
Rolf Krause
Une bonne formation est la meilleure base possible pour réussir sa carrière. Il faut donc bien réfléchir à la formation dans laquelle on veut investir du temps et des efforts.
Tiens ! Dis-m’en plus. Que veux-tu dire par là ?
D’une part, la formation choisie doit nous convenir : il faut être intéressé-e par ce que l’on apprend et ce que l’on appliquera ensuite dans la pratique.
D’autre part, il faut décider si l'on veut ou pas mettre en pratique les connaissances apprises et avoir des résultats immédiats.
Bien entendu, il est possible de choisir une formation très appliquée. Celle-ci permet d’acquérir les bases de la programmation, d’accéder à la technologie et peut-être même de devenir très rapidement chef ou cheffe de projet au sein d’un service informatique.
Ou alors, on peut se consacrer d’abord aux bases de la technologie dans son ensemble.
C’est-à-dire ?
Les mathématiques sont une excellente base pour tout ce qui a trait au développement informatique.
Mais je dois revenir ici sur l’aspect de l’immédiateté.
En mathématiques, il faut investir du temps et des efforts avant d’obtenir un résultat.
En contrepartie, on acquiert un savoir qui ne vieillit pas. Même dans le domaine de l’informatique.
Et on peut profiter de ces connaissances longtemps et durablement, car elles nous apportent une compréhension beaucoup plus profonde de la matière et de toutes les différentes disciplines en informatique.
Au lieu d’être simplement capable d’appliquer certaines techniques ou processus, on est en mesure de les comprendre.
Cela permet d’accéder au cercle des personnes qui sont capables non seulement d’appliquer les développements, mais aussi de les faire progresser.
Peux-tu nous donner des exemples ?
Prenons les prédictions par simulation ou par intelligence artificielle.
Ici, les bases mathématiques aident à décrire, à comprendre, à développer et à appliquer correctement les procédés et les méthodes.
La meilleure façon de comprendre les détails techniques est de saisir les mathématiques qui se cachent derrière.
Je cite toujours la musique comme point de comparaison : un musicien qui connaît toutes les gammes et, tout au plus, trois morceaux de musique, ne peut être qualifié de musicien professionnel.
Maîtriser quelques techniques est un bon point de départ. Mais seules des approches mathématiques abstraites permettent de tout comprendre dans une technologie informatique.
Que peut-on attendre d’un cursus en mathématiques online à UniDistance Suisse ?
Une formation façonne la manière dont on pense, dont on argumente. Mais aussi la manière dont on gère les problèmes.
Dans le cadre d’études de base online en mathématiques appliquées, on apprend à reconnaître les structures cachées.
L’apprentissage de cette aptitude prend du temps et demande un certain effort.
Beaucoup de nos étudiant-e-s du module de mathématiques appliquées mettent un moment avant d’y arriver.
Je le compare à l’apprentissage d’une langue : là aussi, avant de comprendre les structures, de voir la beauté et de trouver de la satisfaction, il faut apprendre les bases.
Alors seulement, un tout autre monde peut s’ouvrir à vous. Et c’est la seule façon d’y accéder.
Revenons à l’intelligence artificielle. Qu’est-ce qu’un-e mathématicien-ne ferait différemment de quelqu’un qui aborde un projet par le biais de la programmation ?
En fin de compte, chaque algorithme est une instruction d’action donnée à l’ordinateur.
Je lui indique des étapes qu’il doit ensuite suivre.
Mais en tant que mathématicien, j’utilise quelque chose que je comprends vraiment parce que j’en ai étudié la base.
Pour ce faire, les mathématiques m’offrent également un langage approprié me permettant de m’exprimer de manière conceptuelle, de sorte que je peux travailler dans une communauté de recherche ou dans un grand département de développement.
De plus, les systèmes d’intelligence artificielle sont devenus beaucoup plus complexes en peu de temps.
Les mathématicien-ne-s sont donc avantagé-e-s, car ils et elles comprennent vraiment les applications de leur science dans les moindres détails.
Tu as fait de la recherche aux États-Unis et tu travailles désormais, entre autres, avec le superordinateur du Tessin : comment et où exactement utilises-tu les bases des mathématiques ?
Nous avons des projets avec des applications en médecine, en biologie, dans le domaine des énergies renouvelables et de l’approvisionnement en énergie, de l’intelligence artificielle et, plus classiquement, dans le domaine de l’ingénierie.
Chacun de ces projets est un projet commun et interdisciplinaire avec les utilisateurs et utilisatrices concerné-e-s.
En médecine, nous travaillons dans le domaine de la cardiologie : nous simulons l’électrophysiologie du cœur, le flux sanguin dans l’aorte, et nous collaborons avec des cardiologues pour mieux comprendre les causes des maladies et mettre au point de nouvelles thérapies.
Il peut s’agir d’optimiser la mise en place d’un pacemaker ou d’améliorer les techniques chirurgicales.
Dans le domaine de l’énergie, nous travaillons sur la simulation de réseaux énergétiques avec un réseau suisse dans le cadre du projet SURE.
Nous collaborons avec l’EPFZ et le CSCS dans le secteur de l’énergie géothermique, et avec le CSCS et l’EPFL sur de nouveaux procédés en intelligence artificielle.
Il existe d’autres projets dans d’autres domaines, mais tous ont ceci en commun qu’ils combinent une application et des connaissances mathématiques et méthodologiques.
La programmation est bien sûr aussi enseignée.
Au bout du compte, les algorithmes sont mis en œuvre, étudiés dans le cadre d’expériences et utilisés.
Le travail interdisciplinaire est aussi passionnant qu’exigeant ; les différents points de vue des différentes disciplines nous aident à progresser ensemble.
Si tu recommençais tes études, opterais-tu toujours pour les mathématiques et si oui, pourquoi ?
Oui, je choisirais à nouveau les mathématiques.
La formation est universelle, elle aiguise l’esprit et on apprend à travailler avec patience pour réussir.
Traditionnellement, les études de mathématiques sont proposées avec une matière secondaire, le choix de celle-ci étant libre : informatique, physique, sciences économiques, musique, sciences humaines.
Je trouve que c’est une belle tradition, car elle permet de suivre différents penchants.
Et les mathématiques sont compatibles avec n’importe quelle matière.